À Anatole Baju
Au pays de mon père on voit des bois sans nombre,
Là des loups font parfois luire leurs yeux dans l’ombre
Et la myrtile est noire au pied du chêne vert.
Noire de profondeur, sur l’étang découvert,
Sous la bise soufflant balsamiquement dure
L’eau saute à petits flots, minéralement pure.
Les villages de pierre ardoisière aux toits bleus
Ont leur pacage et leur labourage autour d’eux.
Du bétail non pareil s’y fait des chairs friandes,
Sauvagement un peu parmi les hautes viandes ;
Et l’habitant, grâce à la Foi sauve, est heureux.
Au pays de ma mère est un sol plantureux
Où l’homme, doux et fort, vit prince de la plaine
De patients travaux pour quelles moissons pleine,
Avec, rares, des bouquets d’arbres et de l’eau.
L’industrie a sali par places ce tableau
De paix patriarcale et de campagne dense
Et compromis jusqu’à des points cette abondance,
Mais l’ensemble est resté, somme toute, très bien.
Le peuple est froid et chaud, non sans un fond chrétien.
Belle, très au dessus de toute la contrée,
Se dresse éperdument la tour démesurée
D’un gothique beffroi sur le ciel balancé
Attestant les devoirs et les droits du passé,
Et tout en haut de lui le grand lion de Flandre
Hurle en cris d’or dans l’air moderne : « Osez les prendre ! »
Le pays de mon rêve est un site charmant
Qui tient des deux aspects décrits précédemment :
Quelque âpreté se mêle aux saveurs géorgiques.
L’amour et le loisir même sont énergiques,
Calmes, équilibrés sur l’ordre et le devoir.
La vierge en général s’abstient du nonchaloir
Dangereux aux vertus, et l’amant qui la presse
A coutume avant tout d’éviter la paresse
Où le vice puisa ses larmes en tout temps,
Si bien qu’en mon pays tous les cœurs sont contents,
Sont, ou plutôt étaient.
Au cœur ou dans la tête,
La tempête est venue. Est-ce bien la tempête ?
Et tous cas, il y eut de la grêle et du feu,
Et la misère, et comme un abandon de Dieu.
La mortalité fut sur les mères taries
Des troupeaux rebutés par l’herbe des prairies
Et les jeunes sont morts après avoir langui
D’un sort qu’on croyait parti d’où, jeté par qui ?
Dans les champs ravagés la terre diluée
Comme une pire mer flotte en une buée.
Des arbres détrempés les oiseaux sont partis,
Laissant leurs nids et des squelettes de petits.
D’amours de fiancés, d’union des ménages
Il n’est plus question dans mes tristes parages.
Mais la croix des clochers doucement toujours luit,
Dans les cages plus d’une cloche encor bruit,
Et, béni signal d’espérance et de refuge,
L’arc-en-ciel apparaît comme après le déluge.