L’histoire de la fable «Le Renard et l’Écureuil» de Jean de La Fontaine

La fable Le Renard et l’Écureuil de Jean de La Fontaine, bien qu’écrite au XVIIe siècle, est restée méconnue et inédite jusqu’au XIXe siècle. Elle fut enfin publiée en 1861, à l’occasion du bicentenaire de l’arrestation de Nicolas Fouquet, ancien surintendant des finances de Louis XIV et grand protecteur de La Fontaine. Cette fable, par son contenu et son contexte, offre une illustration vivante des intrigues et rivalités politiques de l’époque, notamment celle entre Fouquet et son ennemi juré, Jean-Baptiste Colbert.

Nicolas Fouquet, né en 1615, était un homme puissant et riche, nommé surintendant des finances en 1653. Possédant le château de Vaux-le-Vicomte et l’île de Belle-Île, Fouquet était une figure incontournable à la cour. Cependant, son ascension fulgurante attisa les jalousies, notamment celle de Colbert, qui alimenta le roi Louis XIV de rapports incriminant Fouquet.

Le 5 septembre 1661, sous les ordres du jeune Louis XIV, le célèbre mousquetaire Charles d’Artagnan arrêta Fouquet. Cette arrestation, soigneusement préparée, prit Fouquet par surprise. Il fut condamné à la confiscation de ses biens et à la prison à vie par un tribunal soumis à la volonté royale. Fouquet fut emprisonné à Pignerol (Pinerolo) en Italie, où il mourut en 1680.

La fable représente subtilement la lutte de pouvoir entre Colbert et Fouquet. L’écureuil, symbole de Fouquet, se retrouve confronté à un renard rusé, représentant Colbert. Cette allégorie était trop risquée pour être publiée du vivant de La Fontaine en raison des tensions politiques et de la puissance de Colbert à la cour de Louis XIV.

Fouquet, dont le nom signifie écureuil en gallo, avait choisi cet animal pour ses armoiries, accompagné de la devise « Quo non ascendet? » (« Jusqu’où ne montera-t-il pas? »). Dans son somptueux château de Vaux-le-Vicomte, l’écureuil était omniprésent, illustrant la richesse et l’ambition du surintendant. La Fontaine, fidèle à Fouquet même après sa chute, espérait sans doute exprimer par cette fable l’injustice subie par son protecteur et la perfidie de Colbert.

L’arrestation de Fouquet fut un coup dur pour Jean de La Fontaine. Protégé et soutenu financièrement par le surintendant, La Fontaine lui resta loyal malgré sa chute. L’auteur, bien conscient du danger de publier une telle critique voilée de Colbert, choisit de ne pas inclure cette fable dans ses recueils de son vivant. Néanmoins, La Fontaine ne renonça pas entièrement à son œuvre. Les premiers vers de la fable furent intégrés à une autre, Le Lièvre et la Perdrix, démontrant son désir de ne pas abandonner le sujet et la morale de son récit.

Le Renard et l’Écureuil, de Jean de La Fontaine

Il ne se faut jamais moquer des misérables,
Car qui peut s’assurer d’être toujours heureux?
Le sage Ésope, dans ses Fables,
Nous en donne un exemple ou deux.
Je ne les cite point, et certaine chronique
M’en fournit un plus authentique.

Le Renard se moquoit, un jour, de l’Écureuil,
Qu’il voyoit assailli d’une forte tempête :
« Te voilà, disoit-il, près d’entrer au cercueil,
Et de ta queue en vain tu te couvres la tête!

Plus tu t’es approché du faite,
Plus l’orage te trouve en butte à tous ses coups.
Tu cherchois les lieux hauts et voisins de la foudre :
Voilà ce qui t’en prend ! Moi, qui cherche des trous,
Je vis en attendant que tu sois mis en poudre. »
Tandis qu’ainsi le Renard se gaboit,
Il prenoit maint pauvre poulet
Au gobe.
Lorsque l’ire du ciel à l’Écureuil pardonne,
Il n’éclaire plus ni ne tonne ;
L’orage cesse, et le beau temps venu.
Un chasseur ayant aperçu
Le train de ce Renard autour de sa tanière :
« Tu paieras, dit-il, mes poulets ! »
Aussitôt nombre de bassets
Vous fait déloger le compère.
L’Écureuil l’aperçoit qui fuit
Devant la meute qui le suit :
Ce plaisir ne lui dure guère,
Car bientôt il le voit aux portes du trépas.
Il le voit, mais il n’en rit pas,
Instruit par sa propre misère.

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