L’histoire du poème «Liberté» de Paul Eluard

Le succès du poème Liberté est né dans l’ombre de la guerre. L’époque est marqué par la défaite française de 1940 et la sinistre collaboration imposée par l’armistice du 25 juin. Paris est alors sous le joug de l’occupation allemande. C’est dans ce contexte que Paul Éluard, poète résistant, entama une lutte silencieuse et ardente.

Éluard démobilisé rejoint sa femme Nusch dans une capitale vidée de ses amis, où il ne recommença à écrire qu’à la fin de l’année 1941. En plein cœur de la Seconde Guerre mondiale, il s’efforce de donner une voix à l’espoir et à la révolte. Dès 1941, ses premiers poèmes de résistance paraissent dans la clandestinité. Dans ces textes, il dénonce la collaboration, célèbre ceux qui osent dire non, et préserve la mémoire des martyrs et des fusillés. Son engagement dans la Résistance se concrétisa par son rôle actif au sein du Comité national des écrivains, où il fit paraître clandestinement de nombreux poèmes dénonçant la collaboration et le nazisme.

En 1942, Éluard fait publier Poésie et Vérité, où un poème se démarque particulièrement : Liberté. Ce poème, qui ouvre le recueil, incarne un message de lutte et d’espoir dans une France occupée et divisée.

À l’origine, ce poème portait un autre nom, Une seule pensée, dédié à l’amour de sa vie, Nusch. Éluard commença ce poème en 1941, inspiré par sa compagne, sa première réflexion étant d’y inscrire le nom de sa bien-aimée à la toute fin. Les événements de 1942 viennent tout bouleverser. L’oppression devient plus forte, l’espoir plus faible. Le poème sera finalement dédié à la liberté et en portera le nom.

Paul Eluard confiera « Je pensais révéler pour conclure le nom de la femme que j’aimais, à qui ce poème était destiné. Mais je me suis vite aperçu que le seul mot que j’avais en tête était le mot Liberté. Ainsi, la femme que j’aimais incarnait un désir plus grand qu’elle. Je la confondais avec mon aspiration la plus sublime, et ce mot Liberté n’était lui-même dans tout mon poème que pour éterniser une très simple volonté, très quotidienne, très appliquée, celle de se libérer de l’Occupant ».

Après sa publication, Liberté dépassa de loin les intentions de son auteur. Le poème se répandit clandestinement à travers l’Europe, relayé par les tracts, les émissions radiophoniques et la presse clandestine. En juin 1942, la revue Fontaine publia le poème sous son titre initial « Une seule pensée », permettant sa diffusion dans la zone sud. À Londres, la revue officielle gaulliste La France libre publia le poème, et des avions britanniques de la Royal Air Force le parachutèrent à des milliers d’exemplaires au-dessus du sol français, accompagné de containers d’armes et de munitions.

Ce poème d’amour, destiné à Nusch, devint ainsi une arme de résistance contre l’oppresseur, un hymne à la liberté, inspirant les luttes pour un monde meilleur. Un classique de la littérature française est né.

Maintenant que vous connaissez son histoire, redécouvrez ce poème emblématique avec un regard neuf…

Liberté de Paul Eluard

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

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