À Villiers de l’Isle Adam
Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
De beaux démons, des Satans adolescents,
Au son d’une musique mahométane
Font litière aux Sept Péchés de leurs cinq sens.
C’est la fête aux Sept Péchés : ô qu’elle est belle !
Tous les Désirs rayonnaient en feux brutaux
Les Appétits, pages prompts que l’on harcelle,
Promenaient des vins roses dans des plateaux.
Des danses sur des rhythmes d’épithalames
Bien doucement se pâmaient en longs sanglots
Et de beaux chœurs de voix d’hommes et de femmes
Se déroulaient, palpitaient comme des flots,
Et la bonté qui s’en allait de ces choses
Était puissante et charmante tellement
Que la campagne autour se fleurit de roses
Et que la nuit paraissait en diamants.
Or le plus beau d’entre tous ces mauvais anges
Avait seize ans sous sa couronne de fleurs.
Les bras croisés sur les colliers et les franges,
Il rêve, l’œil plein de flammes et de pleurs.
En vain la fête autour se faisait plus folle,
En vain les Satans, ses frères et ses sœurs,
Pour l’arracher au souci qui le désole
L’encourageaient d’appels de bras caresseurs,
Il résistait à toutes câlineries
Et le chagrin mettait un papillon noir
À son beau front tout brûlant d’orfèvreries.
Ô l’immortel et terrible désespoir !
Il leur disait : Ô vous, laissez-moi tranquille !
Puis les ayant baisés tous bien tendrement
Il s’évada d’avec eux d’un geste agile,
Leur laissant aux mains des pans de vêtement.
Le voyez-vous sur la tour la plus céleste
Du haut palais avec une torche au poing
Il la brandit comme un héros fait d’un ceste.
D’en bas on croit que c’est une aube qui point.
Qu’est-ce qu’il dit de sa voix profonde et tendre
Qui se marie au claquement clair du feu
Et que la lune est extatique d’entendre ?
« Ô je serai celui-là qui sera Dieu !
« Nous avons tous trop souffert, anges et hommes,
« De ce conflit entre le Pire et le Mieux.
« Humilions, misérables que nous sommes
« Tous nos élans dans le plus simple des vœux.
« Assez et trop de ces luttes trop égales !
« Il va falloir qu’enfin se rejoignent les
« Sept Péchés aux Trois Vertus Théologales,
« Assez et trop de ces combats durs et laids !
« Et pour réponse à Jésus qui crut bien faire
« En maintenant l’équilibre de ce duel,
« Par moi l’Enfer dont c’est ici le repaire
« Se sacrifie à l’amour universel ! »
La torche tombe de sa main éployée,
Et l’incendie alors hurla s’élevant,
Querelle énorme d’aigles rouges noyée
Au remous noir de la fumée et du vent.
L’or fond et coule à flots et le marbre éclate
C’est un brasier tout splendeur et tout ardeur,
La soie en courts frissons comme de la ouate
Vole à flocons tout ardeur et tout splendeur.
Et les Satans mourants chantaient dans les flammes
Ayant compris, comme s’ils étaient résignés !
Et de beaux chœurs de voix d’hommes et de femmes
Montaient parmi l’ouragan des bruits ignés.
Et lui, les bras croisés d’une sorte fière
Les yeux au ciel où le feu monte en léchant
Il dit tout bas une espèce de prière
Qui va mourir dans l’allégresse du chant.
Il dit tout bas une espèce de prière
Les yeux au ciel où le feu monte en léchant…
Quand retentit un affreux coup de tonnerre
Et c’est la fin de l’allégresse et du chant.
On n’avait pas agréé le sacrifice :
Quelqu’un de fort et de juste assurément
Sans peine avait su démêler la malice
Et l’artifice en un orgueil qui se ment.
Et du palais aux cent tours aucun vestige
Rien ne resta dans ce désastre inouï,
Afin que par le plus effrayant prodige
Ceci ne fût qu’un vain songe évanoui…
Et c’est la nuit, la nuit bleue aux mille étoiles
Une campagne évangélique s’étend
Sévère et douce, et, vagues comme des voiles,
Les branches d’arbre ont l’air d’aller s’agitant.
De froids ruisseaux coulent sur un lit de pierre,
Les doux hiboux nagent vaguement dans l’air
Tout embaumé de mystère et de prière ;
Parfois un flot qui saute lance un éclair ;
La forme molle au loin monte des collines
Comme un amour encore mal défini
Et le brouillard qui s’essore des racines
Semble un effort vers quelque but réuni.
Et tout cela, comme un cœur et comme une âme,
Et comme un verbe, et d’un amour virginal
Adore, s’ouvre en une extase et réclame
Le Dieu clément qui nous gardera du mal.