La foule des vivants rit et suit sa folie,
Tantôt pour son plaisir, tantôt pour son tourment ;
Mais par les morts muets, par les morts qu’on oublie,
Moi, rêveur, je me sens regardé fixement.
Ils savent que je suis l’homme des solitudes,
Le promeneur pensif sous les arbres épais,
L’esprit qui trouve, ayant ses douleurs pour études,
Au seuil de tout le trouble, au fond de tout la paix !
Ils savent l’attitude attentive et penchée
Que j’ai parmi les buis, les fosses et les croix ;
Ils m’entendent marcher sur la feuille séchée ;
Ils m’ont vu contempler des ombres dans les bois,
Ils comprennent ma voix sur le monde épanchée,
Mieux que vous, ô vivants bruyants et querelleurs !
Les hymnes de la lyre en mon âme cachée,
Pour vous ce sont des chants, pour eux ce sont des pleurs.
Moi, c’est là que je vis ! — cueillant les roses blanches,
Consolant les tombeaux délaissés trop longtemps,
Je passe et je reviens, je dérange les branches,
Je fait du bruit dans l’herbe, et les morts sont contents.
Là je rêve ! et, rôdant dans le champ léthargique,
Je vois, avec des yeux dans ma pensée ouverts,
Se transformer mon âme en un monde magique,
Miroir mystérieux du visible univers.
Regardant sans les voir de vagues scarabées,
Des rameaux indistincts, des formes, des couleurs,
Là, j’ai dans l’ombre, assis sur des pierres tombées,
Des éblouissements de rayons et de fleurs.
Là, le songe idéal qui remplit ma paupière
Flotte, lumineux voile, entre la terre et nous ;
Là, mes doutes ingrats se fondent en prière ;
Je commence debout et j’achève à genoux.
Comme au creux du rocher vole l’humble colombe,
Cherchant la goutte d’eau qui tombe avant le jour,
Mon esprit altéré, dans l’ombre de la tombe,
Va boire un peu de foi, d’espérance et d’amour !
13 mars 1840.