J’ai dit à l’esprit vain, à l’ostentation,
L’Ilion de l’orgueil futile, le Sion
De la frivolité sans cœur et sans entrailles,
La citadelle enfin du Faux :
« Croulez, murailles
Ridicules et pis, remparts bêtes et pis.
Contrescarpes, sautez comme autant de tapis
Qu’un valet matinal aux fenêtres secoue,
Fossés que l’eau remplit, concrétez-vous en boue
Qu’il ne reste plus rien qu’un souvenir banal
De tout votre appareil, et que cet arsenal,
Chics fougueux et froids, mots secs, phrase redondante,
Et cætera, se rende à l’émeute grondante
Des sentiments enfin naturels et réels. »
Ah ! j’en suis revenu, des « dandysmes » « cruels »
Vrais ou faux, dans la vie (accident ou coutume)
Ou dans l’art ou tout bêtement dans le costume.
Le vêtement de son état avec le moins
De taches et de trous possible, apte aux besoins,
Aux lies, aux chics qu’il faut, le linge, mal terrible
D’empois et d’amidon, le plus fréquent possible,
Et souple et frais autour du corps dispos aussi,
Voilà pour le costume, et quant à l’art, voici :
L’art tout d’abord doit être et paraître sincère
Et clair, absolument : c’est la loi nécessaire
Et dure, n’est-ce pas, les jeunes, mais la loi ;
Car le public, non le premier venu, mais moi,
Mais mes pairs et moi, par exemple, vieux complices,
Nous, promoteurs de vos, de nos pauvres malices.
Nous autres qu’au besoin vous sauriez bien chercher,
Le vrai, le seul Public qu’il faille raccrocher.
Le Public, pour user de ce mot ridicule,
Dorénavant il bat en retraite et recule
Devant vos trucs un peu trop niais d’aujourd’hui,
Tordu par le fou rire ou navré par l’ennui.
L’art, mes enfants, c’est d’être absolument soi-même,
Et qui m’aime me suive et qui me suit qu’il m’aime,
Et si personne n’aime ou me suit, allons seul.
Mais traditionnel et soyons notre aïeul !
Obéissons au sang qui coule dans nos veines
Et qui ne peut broncher en conjectures vaines.
Flux de verve gauloise et flot d’aplomb romain
Avec, puisqu’un peu Franc, de bon limon germain,
Moyennant cette allure et par cette assurance
Il pourra bien germer des artistes en France.
Mais, plus de fioritures, bons petits,
Ni de ce pessimisme et ni du cliquetis
De ce ricanement comme d’armes faussées,
Et ni de ce scepticisme en sottes fusées ;
Autrement c’est la mort et je vous le prédis
De ma voix de bonhomme, encore un peu. Jadis.
Foin ! d’un art qui blasphème et fi ! d’un art qui pose,
Et vive un vers bien simple, autrement c’est la prose.
La Simplicité, — c’est d’ailleurs l’avis rara, —
Ô la Simplicité, tout-puissant, qui l’aura
Véritable, au service, en outre, de la Vie
Elle vous rend bon, franc, vous demi-déifie.
Que dis-je ? elle vous déifie en Jésus-Christ
Par l’opération du même Saint-Esprit
Et l’humblesse sans nom de son Eucharistie,
Sur les siècles épand l’ordre et la sympathie,
Règne avec la candeur et lutte par la foi,
Mais la foi tout de go, sans peur et sans émoi
Ni de ces grands raffinements des exégètes,
Elle trempe les cœurs, rassérène les têtes,
Enfante la vertu, met en fuite le mal
Et fixerait le monde en son état normal
N’était la Liberté que Dieu dispense aux âmes
Et dont le premier homme et nous, nous abusâmes
Jusqu’aux tristes excès où nous nous épuisons
Dans des complexités comme autant de prisons.
Et puis, c’est l’unité désirable et suprême :
On vit simple, comme on naît simple, comme on aime
Quand on aime vraiment et fort, et comme on hait
Et comme l’on pardonne, au bout, lorsque l’on est
Purement, nettement simple et l’on meurt de même,
Comme on naît, comme on vit, comme on hait, comme on aime,
Car aimer c’est l’Alpha, fils, et c’est l’Oméga
Des simples que le Dieu simple et bon délégua
Pour témoigner de lui sur cette sombre terre
En attendant leur vol calme dans sa lumière.
Oui, d’être absolument soi-même, absolument !
D’être un brave homme épris de vivre, et réclamant
Sa place à toi, juste Soleil de tout le monde.
Sans plus se soucier, naïveté profonde !
De ce tiers, l’apparat, que du fracas, ce quart,
Pour le costume, dans la vie et quant à l’art ;
Dédaigneux au superlatif de la réclame,
Un digne homme amoureux et frère de la Femme,
Élevant ses enfants pour ici-bas et pour
Leur lot gagné dûment en le meilleur Séjour,
Fervent de la patrie et doux aux misérables,
Fier pourtant, partant, aux refus inexorables
Devant les préjugés et la banalité
Assumant à l’envi ce masque dégoûté
Qui rompt la patience et provoque la claque
Et, pour un peu, ferait défoncer la baraque !
Rude à l’orgueil tout en pitoyant l’orgueilleux,
Mais dur au fat et l’écrasant d’un mot joyeux
S’il juge toutefois qu’il en vaille la peine
Et que sa nullité soit digne de l’aubaine.
Oui, d’être et de mourir loin d’un siècle gourmé
Dans la franchise, ô vivre et mourir enfermé,
Et s’il nous faut, par surcroît, de posthumes socles,
Gloire au poète pur en ces jours de monocles !