Oui, le bonheur bien vite a passé dans ma vie !
On le suit ; dans ses bras on se livre au sommeil ;
Puis, comme cette vierge aux champs crétois ravie,
On se voit seul à son réveil.

On le cherche de loin dans l’avenir immense ;
On lui crie : — Oh ! reviens, compagnon de mes jours.
Et le plaisir accourt ; mais sans remplir l’absence
De celui qu’on pleure toujours.

Moi, si l’impur plaisir m’offre sa vaine flamme,
Je lui dirai : — Va, fuis, et respecte mon sort ;
Le bonheur a laissé le regret dans mon âme ;
Mais, toi, tu laisses le remord ! —

Pourtant je ne dois point troubler votre délire,
Amis ; je veux paraître ignorer les douleurs ;
Je souris avec vous, je vous cache ma lyre
Lorsqu’elle est humide de pleurs.

Chacun de vous peut-être, en son cœur solitaire,
Sous des ris passagers étouffe un long regret ;
Hélas ! nous souffrons tous ensemble sur la terre,
Et nous souffrons tous en secret !

Tu n’as qu’une colombe, à tes lois asservie ;
Tu mets tous tes amours, vierge, dans une fleur.
Mais à quoi bon ? La fleur passe comme la vie,
L’oiseau fuit comme le bonheur.

On est honteux des pleurs ; on rougit de ses peines,
Des innocents chagrins, des souvenirs touchants ;
Comme si nous n’étions sous les terrestres chaînes
Que pour la joie et pour les chants !

Hélas ! il m’a donc fui sans me laisser de trace,
Mais pour le retenir j’ai fait ce que j’ai pu,
Ce temps où le bonheur brille, et soudain s’efface,
Comme un sourire interrompu !

Février 1821.