I
Il est mort. Rien de plus. Nul groupe populaire,
urne d’où se répand l’amour ou la colère,
n’a jeté sur son nom pitié, gloire ou respect.
Aucun signe n’a lui. Rien n’a changé l’aspect
De ce siècle orageux, mer de récifs bordée,
Où le fait, ce flot sombre, écume sur l’idée.
Nul temple n’a gémi dans nos villes. Nul glas
N’a passé sur nos fronts criant : hélas ! hélas !
La presse aux mille voix, cette louve hargneuse,
A peine a retourné sa tête dédaigneuse ;
Nous ne l’avons pas vue, irritée et grondant,
Donner à cette pourpre un dernier coup de dents.
Et chacun vers son but, la marée à la grève,
La foule vers l’argent, le penseur vers son rêve,
Tout a continué de marcher, de courir,
Et rien n’a dit au monde : Un roi vient de mourir !
II
Sombres canons rangés devant les Invalides,
Comme les sphinx au pied des grandes pyramides,
Dragons d’airain, hideux, verts, énormes, béants,
Gardiens de ce palais, bâti pour des géants,
Qui dresse et fait au loin reluire à la lumière
Un casque monstrueux sur sa tête de pierre !
A ce bruit qui jadis vous eût fait rugir tous
— Le roi de France est mort ! – d’où vient qu’aucun de vous,
Comme un lion captif qui secouerait sa chaîne,
Aucun n’a tressailli sur sa base de chêne,
Et n’a, se réveillant par un subit effort,
Dit à son noir voisin : — Le roi de France est mort ! –
D’où vient qu’il s’est fermé sans vos salves funèbres,
Ce cercueil qu’on clouait là-bas dans les ténèbres ?
Et que rien n’est sorti de vos mornes affûts,
Pas même, ô canons sourds, ce murmure confus
Qu’au vague battement de ses ailes livides
Le vent des nuits arrache à des armures vides ?
C’est que, prostitués dans nos troubles civils,
Vous êtes comme nous fiers, sonores et vils !
C’est que, rouillés, vieillis, rivés à votre place,
Toujours agenouillés devant tout ce qui passe,
Retirés des combats, et dans ce coin obscur
Par des soldats boiteux gardés sous un vieux mur,
Vains foudres de parade oubliés de l’armée,
Autour de tout vainqueur faisant de la fumée,
Réservés pour la pompe et la solennité,
Vous avez pris racine en cette lâcheté !
Soyez flétris ! canons que la guerre repousse,
Dont la voix sans terreur dans les fêtes s’émousse,
Vous qui glorifiez de votre cri profond
Ceux qui viennent, toujours, jamais ceux qui s’en vont !
Vous qui, depuis trente ans, noirs courtisans de bronze,
Avez, comme Henri quatre adorant Louis onze,
Toujours tout applaudi, toujours tout salué,
Vous taisant seulement quand le peuple a hué !
Lâches, vous préférez ceux que le sort préfère !
Dans le moule brûlant le fondeur pour vous faire
Mit l’étain et le cuivre et l’oubli du vaincu ;
Car qui meurt exilé pour vous n’a pas vécu ;
Car vos poumons de fer, où gronde une âpre haleine,
Sont muets pour Goritz comme pour Sainte-Hélène !
Soyez flétris !
Mais non. C’est à nous, insensés,
Que le mépris revient. Vous nous obéissez.
Vous êtes prisonniers et vous êtes esclaves.
La guerre qui vous fit de ses bouillantes laves
Vous fit pour la bataille, et nous vous avons pris
Pour vous éclabousser des fanges de Paris,
Pour vous sceller au seuil d’un palais centenaire,
Et pour vous mettre au ventre un éclair sans tonnerre !
C’est nous qu’il faut flétrir. Nous qui, déshonorés,
Donnons notre âme abjecte à ces bronzes sacrés.
Nous passons dans l’opprobre ; hélas, ils y demeurent.
Mornes captifs ! le jour où des rois proscrits meurent,
Vous ne pouvez, jetant votre fumée à flots,
Prolonger sur Paris vos éclatants sanglots,
Et, pareils à des chiens liés à des murailles,
D’un hurlement plaintif suivre leurs funérailles !
Muets, et vos longs cous baissés vers les pavés,
Vous restez là, pensifs, et, tristes, vous rêvez
Aux hommes, froids esprits, cœurs bas, âmes douteuses,
Qui font faire à l’airain tant de choses honteuses !
III
Vous vous taisez. – Mais moi, moi dont parfois le chant
Se refuse à l’aurore et jamais au couchant,
Moi que jadis à Reims Charles admit comme un hôte,
Moi qui plaignis ses maux, moi, qui blâmai sa faute,
Je ne me tairai pas. Je descendrai, courbé,
Jusqu’au caveau profond où dort ce roi tombé ;
Je suspendrai ma lampe à cette voûte noire ;
Et sans cesse, à côté de sa triste mémoire,
Mon esprit, dans ces temps d’oubli contagieux,
Fera veiller dans l’ombre un vers religieux !
Et que m’importe à moi qui, déployant mon aile,
Touche parfois d’en bas à la lyre éternelle,
A moi qui n’ai d’amour que pour l’onde et les champs,
Et pour tout ce qui souffre, excepté les méchants,
A moi qui prends souci, quand la nef s’aventure,
De tous les matelots risqués dans la mâture,
Et dont la pitié grave hésite quelquefois
De la sueur du peuple à la sueur des rois,
Que m’importe après tout que depuis six années
Ce roi fût retranché des têtes couronnées,
Froide ruine au bord de nos flots écumants,
Vain fantôme penché sur les évènements !
Qu’il ne changeât de rien ni le poids ni le nombre,
Que, rasé dès longtemps, son front plongeât dans l’ombre,
Et que déjà, vieillard sans trône et sans parois,
Il eût subi l’exil, première mort des rois !
Je le dirai, sans peur que la haine renaisse,
Son avènement pur eut pour sœur ma jeunesse ;
Saint-Rémy nous reçut sous son mur triomphant
Tous deux le même jour, lui vieux, moi presque enfant ;
Et moi je ne veux pas, harpe qu’il a connue,
Qu’on mette mon roi mort dans une bière nue !
Tandis qu’au loin la foule emplit l’air de ses cris,
L’auguste piété, servante des proscrits,
Qui les ensevelit dans sa plus blanche toile,
N’aura pas, dans la nuit que son regard étoile,
Demandé vainement à ma pensée en deuil
Un lambeau de velours pour couvrir ce cercueil !
IV
Oh ! que Versaille était superbe
Dans ces jours purs de tout affront
Où les prospérités en gerbe
S’épanouissaient sur son front !
Là, tout faste était sans mesure.
Là, tout arbre avait sa parure.
Là, tout homme avait sa dorure.
Tout du maître suivait la loi.
Comme au même but vont cent routes,
Là les grandeurs abondaient toutes.
L’olympe ne pendait aux voûtes
Que pour compléter le grand roi !
Vers le temps où naissaient nos père
Versaille rayonnait encor.
Les lions ont de grands repaires ;
Les princes ont des palais d’or.
Chaque fois que, foule asservie,
Le peuple au cœur rongé d’envie
Contemplait du fond de sa vie
Ce fier château si radieux ;
Rentrant dans sa nuit plus livide,
Il emportait dans son œil vide
Un éblouissement splendide
De rois, de femmes et de dieux !
Alors riaient dans l’espérance
Trois enfants sous ces nobles toits,
Les deux Louis, aînés de France,
Le beau Charles, comte d’Artois.
Tous trois nés sous les dais de soie,
Frêles enfants, mais pleins de joie
Comme ceux qu’un chaud soleil noie
De rayons purs sous le ciel bleu.
Oh ! d’un beau sort quelle semence !
Près d’eux le roi d’où tout commence,
Au-dessous d’eux le peuple immense,
Au-dessus la bonté de Dieu !
V
Qui leur eût dit alors l’austère destinée ?
Qui leur eût dit qu’un jour cette France, inclinée
Sous leurs fronts de fleurons chargés,
Ne se souviendrait d’eux ni de leur morne histoire,
Pas plus que l’océan sans fond et sans mémoire
Ne se souvient des naufragés !
Que, chaînes, lys, dauphins, un jour les Tuileries
Verraient l’illustre amas des vieilles armoiries
S’écrouler de leur plafond nu,
Et qu’en ces temps lointains que le mystère couvre,
Un corse, encore à naître, au noir fronton du Louvre
Sculpterait un aigle inconnu !
Que leur royal Saint-Cloud se meublait pour un autre ;
Et qu’en ces fiers jardins du rigide Le Nôtre,
Amour de leurs yeux éblouis,
Beaux parcs où dans les jeux croissait leur jeune force,
Les chevaux de Crimée un jour mordraient l’écorce
Des vieux arbres du grand Louis !
VI
Dans ces temps radieux, dans cette aube enchantée,
Dieu ! comme avec terreur leur mère épouvantée
Les eût contre son cœur pressés, pâle et sans voix,
Si quelque vision, troublant ces jours de fêtes,
Eût jeté tout à coup sur ces fragiles têtes
Ce cri terrible : — Enfants ! vous serez rois tous trois !
Et la voix prophétique aurait pu dire encore :
« Enfants, que votre aurore est une triste aurore !
Que les sceptres pour vous sont d’odieux présents !
D’où vient donc que le Dieu qui punit Babylone
Vous fait à pareille heure éclore au pied du trône ?
Et qu’avez-vous donc fait, ô pauvres innocents !
« Beaux enfants qu’on berce et qu’on flatte,
Tout surpris, vous si purs, si doux,
Que des vieux en robe écarlate
Viennent vous parler à genoux,
Quand les sévères Malesherbes
Ont relevé leurs fronts superbes,
Vous courez jouer dans les herbes,
Sans savoir que tout doit finir,
Et que votre race qui sombre
Porte à ses deux bouts couverts d’ombre
Ravaillac dans le passé sombre,
Robespierre dans l’avenir !
« Dans ce Louvre où de vieux murs gardent
Les portraits des rois hasardeux,
Allez voir comme vous regardent
Charles premier et Jacques deux !
Sur vous un nuage s’étale.
Sol étranger, terre natale,
L’émeute, la guerre fatale
Dévoreront vos jours maudits.
De vous trois, enfants sur qui pèse
L’antique masure française,
Le premier sera Louise seize,
Le dernier sera Charles dix !
« Que l’aîné, peu crédule à la vie, à la gloire,
Au peuple ivre d’amour, sache d’une nuit noire
D’avance emplir son cœur de courage pourvu ;
Qu’il rêve un ciel de pluie, un tombereau qui roule,
Et là-bas, tout au fond, au-dessus de la foule,
Quelque étrange échafaud dans la brume entrevu !
« Frères par la naissance et par le malheur frères,
Les deux autres fuiront, battus des vents contraires.
Le règne de Louis, roi de quelques bannis,
Commence dans l’exil, celui de Charles y tombe.
L’un n’aura pas de sacre et l’autre pas de tombe.
A l’un Reims doit manquer, à l’autre Saint-Denis ! »
VII
Quel rêve horrible ! – C’est l’histoire.
De nos père couchés dans les tombeaux profonds
Ce qu’aucun n’aurait voulu croire,
Nous l’avons vu, nous qui vivons !
Tous ces maux, et d’autres encore,
Sont tombés sur ces fronts de la main du Seigneur.
Maintenant croyez à l’aurore !
Maintenant croyez au bonheur !
Croyez au ciel pur et sans rides !
Saluez l’avenir qui vous flatte si bien !
L’avenir, fantôme aux mains vides
Qui promet tout et qui n’a rien !
O rois ! ô familles tronquées !
Brusques écroulements des vieilles majestés !
O calamités embusquées
Au tournant des prospérités !
Tout colosse a des pieds de sable.
Votre abîme est, Seigneur, un abîme infini.
Louis quinze fut le coupable,
Louis seize fut le puni !
La peine se trompe et dévie.
Celui qui fit le mal, c’est la loi du Très-Haut,
A le trône et la longue vie,
Et l’innocent a l’échafaud.
Les fautes que l’aïeul peut faire
Te poursuivront, ô fils ! en vain tu t’en défends.
Quand il a neigé sous le père,
L’avalanche est pour les enfats !
Révolution ! mer profonde !
Que de choses, hélas ! pleines d’enseignement,
Dans les ténèbres de votre onde
On voit flotter confusément !
VIII
Charles dix ! – Oh ! le Dieu qui retire et qui donne
Forgea pour cette tête une lourde couronne !
L’empire était penchant, et les temps étaient durs.
Une ombre quand il vint couvrait encor nos murs,
L’ombre de l’empereur, figure colossale.
Peuple, armée, et la France, et l’Europe vassale,
Par cette vaste main depuis quinze ans pétris,
Demandaient un grand règne, et, pour remplir Paris
Ainsi qu’après César Auguste remplit Rome,
Après Napoléon il fallait plus qu’un homme.
Charles ne fut qu’un homme. A ce faîte il eut peur.
Le gouffre attire. Pris d’un vertige trompeur,
Dans l’abîme, fermant les yeux à la lumière,
Il se précipita la tête la première.
Silence à son tombeau ! car tout vient de finir.
A peine il aura teint d’un vague souvenir
Le peuple à l’eau pareil, qui passe, clair ou sombre,
Près de tout sans en prendre autre chose que l’ombre !
Je n’aurai pas pour lui de reproches amers.
Je ne suis pas l’oiseau qui crie au bord des mers
Et qui, voyant tomber la foudre des nuées,
Jette aux marins perdus ses sinistres huées.
Des passions de tous isolé bien souvent,
Je n’ai jamais cherché les baisers que nous vend
Et l’hymne dont nous berce avec sa voix flatteuse
La popularité, cette grande menteuse.
Aussi n’attendez pas que j’achète aujourd’hui
Des louanges pour moi par des affronts pour lui.
Qu’un autre, aux rois déchus donnant un nom sévère,
Fasse un vil pilori de leur fatal calvaire ;
Moi je n’affligerai pas plus, ô Charles dix,
Ton cercueil maintenant que ton exil jadis !
IX
Repose, fils de France, en ta tombe exilée !
Dormez, sire ! – Il convient que cette ombre voilée,
Que ce vieux pasteur mort sans peuple et sans troupeaux,
Roi presque séculaire, ait au moins le repos,
Qu’il ait au moins la paix où la mort nous convie,
Puisqu’il eut le travail d’une si dure vie !
Peuple ! soyons cléments ! soyons forts ! oublions !
Jamais l’odeur des morts n’attire les lions.
La haine d’un grand peuple est une haine grande
Qui veut que le pardon au sépulcre descende
Et n’a pour ennemis que ceux qui sont debout.
Hélas ! quel poids encor pourrions-nous après tout
Jeter sur ce vieillard cassé par la misère
Qui dort sous le fardeau de la terre étrangère !
Roi, puissant, vous l’avez brisé ; c’est un grand pas.
Il faut l’épargner mort. Et moi, je ne crois pas
Qu’il soit digne du peuple en qui Dieu se reflète
De joindre au bras qui tue une main qui soufflette.
X
Nous, pasteurs des esprits, qui, du bord du chemin,
Regardons tous les pas que fait le genre humain,
Poëtes, par nos chants, penseur, par nos idées,
Hâtons vers la raison les âmes attardées !
Hâtons l’ère où viendront s’unir d’un nœud loyal
Le travail populaire et le labeur royal,
Où colère et puissance auront fait leur divorce,
Où tous ceux qui sont forts auront peur de leur force,
Et d’un sain tremblement frémiront à la fois,
Rois, devant leurs devoirs, peuples, devant leurs droits !
Aidons tous ces grands faits que le Seigneur envoie
Pour ouvrir une route ou pour clore une voie,
Les révolutions dont la surface bout,
Les changements soudains qui font vaciller tout,
A dégager du fond des nuages de l’âme,
A poser au-dessus des lois comme une flamme
Ce sentiment profond en nous tous replié
Que l’homme appelle doute et la femme pitié !
Expliquons au profit de la sainte clémence
Ces hauts évènements où l’état recommence,
Et qui font, quand l’œil va des vaincus aux vainqueurs,
Trembler la certitude humaine au fond des cœurs !
Faisons venir bientôt l’heure où l’on pourra dire
Que sur le froid sépulcre on ne doit rien écrire
Hors des mots de pardon, d’espérance et de paix ;
Et que, l’empereur mort comme les vieux Capets,
On a tort d’exiler, lorsque rien ne bouillonne,
Eux de leur Saint-Denis et lui de sa colonne.
A quoi sert, Dieu clément, cette vaine action !
Et comment se fait-il que la proscription
Ne brise pas ses dents au marbre de la tombe ?
N’est-ce donc pas assez que, cygne, aigle ou colombe,
Dès qu’un vent de malheur lui jette un nid de rois,
Sortant de ce bois noir qu’on appelle les lois,
Cette hyène, acharnée aux grandes races mortes,
Vienne, là, sous nos murs, les ronger à nos portes !
Un jour, — mais nous serons couchés sous le gazon
Quand cette aube de Dieu blanchira l’horizon ! –
Un jour on comprendra, même en changeant de règne,
Qu’aucune loi ne peut, sans que l’équité saigne,
Faire expier à tous ce qu’a commis un seul,
Et faire boire au fils ce qu’a versé l’aïeul.
On fera ce que nul aujourd’hui ne peut faire.
Quand un aiglon royal tombera de sa sphère,
On ne l’abattra pas sur l’aigle foudroyé.
Et, tout en gardant bien le droit qu’il a payé
De mettre le pouvoir sur un front comme un signe
Et de donner le trône et le Louvre au plus digne,
Un grand peuple pourra, sans être épouvanté,
Voir un enfant de plus jouer dans la cité.
Car tous les cœurs diront : C’est une juste aumône
De laisser la patrie à qui n’a plus le trône !
Alors, jetant enfin l’ancre dans un port sûr,
Ayant les biens germés sur nos maux, et l’azur
Du ciel nouveau dont Dieu nous donne la tempête,
Proscription ! nos fils broieront du pied ta tête !
Démon qui tiens du tigre et qui tiens du serpent !
Dans les prospérités invisible et rampant,
Qui, lâche et patient, épiant en silence
Ce que dans son palais le roi dit, rêve, ou pense,
Horrible, en attendant l’heure d’être lâché,
Vis, monstre ténébreux, sous le trône caché !
O poésie ! au ciel ton vol se réfugie
Quand les partis hurlants luttent à pleine orgie,
Quand la nécessité sous son code étouffant
Brise le fort, le faible, hélas ! l’innocent même,
Et sourde et sans pitié promène l’anathème
Du front blanc du vieillard au front pur de l’enfant !
Tu fuis alors à tire d’aile
Vers le ciel éternel et pur,
Vers la lumière à tous fidèle,
Vers l’innocence, vers l’azur !
Afin que ta pureté fière
N’ait pas la fange et la poussière
Des vils chemins par nous frayés,
Et que, nuages et tempêtes,
Tout ce qui passe sur nos têtes
Ne puisse passer qu’à tes pieds !
Tu sais qu’étoile sans orbite,
L’homme erre au gré de tous les vents ;
Tu sais que l’injustice habite
Dans la demeure des vivants ;
Et que nos cœurs sont des arènes
Où les passions souveraines,
Groupe horrible en vain combattu,
Lionnes, louves affamées,
Tigresses de taches semées,
Dévorent la chaste vertu !
Tout ce qui souffre est plein de haine.
Tout ce qui vit traîne un remords.
Les morts seuls ont rompu leur chaîne.
Tout est méchant, hormis les morts !
Aussi, voyant partout la vie
Palpiter de rage et d’envie,
Et que parmi nous rien n’est beau,
Si parfois, oiseau solitaire,
Tu redescends sur cette terre,
Tu te poses sur un tombeau !
15 avril 1837